Melancolia

De tous les pays d’Europe, la France est certainement celui le plus en proie au doute. Elle semble être victime d’un accablement profond. Les prétendus experts n’ont qu’une seule certitude, celle de ce fait. Ils restent emplis d’incertitude quant à la cause. L’impossibilité même de trouver une explication rationnelle à cette morosité, cette mélancolie, ne fait qu’ajouter à l’angoisse.
Au diable les raisons, les explications contradictoires et oiseuses ! Il semble évident que le peuple de France est convaincu qu’il est dans une impasse. Il fait face au mur barrant le cul-de-sac de son futur sans réaction, pétrifié telle une proie face au serpent qui s’avance pour l’engloutir inexorablement. Il n’a plus la force d’escalader ce mur, n’envisage pas plus de le détruire à coups de masse, encore moins de revenir sur ses pas.
Il reste las, sans force et n’imagine même plus son avenir. Une blouse blanche serait heureuse de diagnostiquer un évident symptôme de dépression. Malheureusement le patient fait face au confident sans maudire, incapable de vider le sac devenu trop lourd à transporter.
Au cours de l’été 2016, Mars, Saturne et Antarés furent alignées. Pour une nuit. Dès le lendemain Saturne doublait Mars et prit de l’avance jour après jour. Mauvais présage !
Le plomb de la mélancolie prenait le dessus sur la farouche volonté de Mars. Visiblement les choses ne s’arrangeraient pas si facilement.
Je n’ai aucune foutue idée pour sortir le pays dans lequel il patauge. à dire le vrai, je n’en ai aucune envie. Si la seule solution était de foutre le feu à la baraque je n’hésiterais pas une seconde et, tout en dansant sur mon balcon, je regarderais le brasier de ces villes maudites figées brûler comme dans les toiles de Bosch.
Ils savaient bien ces hommes de la Renaissance balancer tout par-dessus bord, raser pour recontruire à neuf ! Au lieu de quoi la seule ambition des français est de rafistoler, consolider, conserver à tout prix un passé glorieux irrémédiablement englouti.
A chaque fois que je reviens en France, j’ai l’impression que Paris est devenu la Venise moderne. Reflet de la Sérenissime incapable de faire face à sa décadence, mettant toute son énergie à consolider de sompteux palais rongés de salpètre et s’enfonçant dans la vase putride de la Lagune. Pleurant comme la cité des doges ses princes flamboyants conquérants des mers et de l’Orient, regrettant elle aussi l’énergie des patriarches rasant leurs maisons romanes pour éléver sur l’eau de somptueux palais gothiques, se souvenant des ces chefs de guerre animés d’une foi en leur avenir telle qu’ils se sentaient autorisés à piller les cités anéanties pour en disposer leurs trésors dans leur cité radieuse.
Au moment où les vieillards tremblants de peur réunis en Conseil au Palais des Doges remettaient les clefs de la ville au jeune Carnot, il se retenait de rire. Par pitié confiait-il. Peut-être par clairvoyance sans vouloir se l’avouer.
Au moins y voyait-on la soumission de la vieillesse à la jeunesse, du passé à l’avenir, de la faiblesse à l’énergie.
La France est aujourd’hui prête à se soumettre mais ne sait pas à qui remettre les clefs de son destin. Elle attend désespèrémment un signe lui permettant d’identifier ses nouveaux maîtres, mais rien ne vient sous le ciel gris et pluvieux. Voici sans doute l’explication de son angoisse. Elle est comme une femme dont la seule fonction serait d’enfanter sans se soucier ni du père ni des enfants. Elle semble attendre la brute qui la prendra mais rien ne vient et son présent est aussi vide que son avenir

Madrid, Malasaña, le 31 août 2016